Le podcast est puissant, tout d’abord pour une question physiologique, puis sociologique.
Le podcast (audio) est à la radio, ce que la vidéo est à la télévision. Lors de l’avènement de la télévision, les radios ont eu peur que leur média ne disparaisse. Il est vrai qu’avant la prolifération du petit écran dans les foyers, les familles se tenaient informées par la radio et la presse écrite. Tout le monde se souvient de ces images de parents et enfants réunis devant le poste de TSF, écoutant religieusement la voix qui s’en émanait. Mais les craintes ont très vite été balayées. Car, au royaume de la communication, le son a un pouvoir bien différent de celui de l’image. Un pouvoir dû à la puissance très particulière de l’organe récepteur (l’ouïe) et la force émotionnelle de l’émetteur (voix notamment, parlée ou chantée).
L’ouïe et la voix, organes hyper puissants
Notre système auditif est hypersensible. Il permet à notre cerveau d’enregistrer, avant même un état de conscience, des vibrations à une vitesse phénoménale, devant laquelle notre vision est bien pauvre. Quant à la voix, entre enveloppe vocale et conviction, elle a cette capacité phénoménale de mener tout un peuple dans une aventure humaine, quelle qu’elle soit. Un pouvoir que ne peut détenir une voix de synthèse, venue d’une intelligence artificielle. Il lui est impossible, par exemple, de marquer des intonations qui modifie le sens d’une phrase, comme le démontre Joana Revis, chercheur en linguistique et orthophoniste vocologiste au CNRS.
Le podcast : liberté et intimité
D’après Jean Abitbol, chirurgien ORL et phoniatre, interviewé dans l’émission de France Culture « la Grande Table », la télévision donne au téléspectateur l’impression d’être intégré dans un ensemble ou un groupe ; tandis que la radio, elle s’adresse à l’individu, à son âme profonde. Elle crée un espace intime et conscient entre l’auditeur et le speaker, qui s’imprime durablement dans le cerveau.
Le podcast, étant le prolongement de la radio, fait appel aux mêmes ressorts. Il n’est donc pas étonnant de le voir se développer avec l’évolution vorace de la technologie internet et mobile. Bien sûr, dans notre monde de l’image et de l’hyper-connectivité, son essor est plus lent que celui de la vidéo. Il faut dire aussi qu’en Occident, comme l’explique Corinna Coulmass (philosophe, rédactrice, chercheuse, collaboratrice de Claude Lanzmann), historiquement, « l’ouïe est appréciée pour sa fonction éducative et intellectuelle, cependant regardée comme inférieure à la vue, elle, considérée comme moyen le plus sûr d’appréhender le monde et de l’interpréter. »
Voir l’évolution podcastique. (voir 2ème partie)
La puissance de l’ouïe
“L’ouïe est notre sens le plus complexe, car elle contient trois sens” nous dit Corinna Coulmass. “Le sens de la communication sonore, l’équilibre et la notion du temps et de l’espace”.
Car, notre ouïe est un sens d’une sensibilité… inouïe ! Notre système auditif est capable de nous faire réagir à des fréquences de vibration allant jusqu’à 20 000 fois par seconde. Une vitesse que la vision, avec ses 1/25ème de seconde, soit 25 images par seconde, ne peut absolument pas rivaliser, comme l’explique, dans cet article, Daniel Pressnitzer, chercheur au laboratoire Psychologie de la Perception, Université Paris Descartes. Avec l’audition, qui calcule et analyse la moindre vibration, le cerveau ralentit le traitement de l’information reçue, pour l’intégrer à l’échelle du temps et de notre conscience.
L’ouïe est le premier de nos sens à s’éveiller lors du développement du fœtus, avant même la vue, l’odorat, le toucher et le goût. Idem, chaque matin, lorsque nous nous réveillons, c’est elle qui nous permet de connaître immédiatement la position dans laquelle se trouve notre corps. Grâce à l’oreille interne, nous trouvons l’équilibre. Nous avons donc la notion de l’espace qui nous entoure. Une fois ouverte, l’ouïe reste aux aguets. Elle est le dernier sens à s’éteindre lorsque nous tombons dans le coma, nous perdons connaissance ou nous mourrons. [1]
Ouïe et écoute
Cependant, il faut distinguer l’ouïe et l’écoute, qui est la première fonction de l’ouïe. L’écoute est réflexive, topographique et interactive. Réflexive parce qu’elle nous permet de nous entendre parler. Topographique, car elle collabore au sens du toucher, à notre corps, qui saisit les vibrations que nous ne pouvons entendre[2]. Interactive, parce qu’elle nous permet d’échanger avec notre entourage, via l’apprentissage du langage et de la perception de l’autre. L’écoute est aussi sélective. Instinctivement, notre cerveau perçoit, dans le brouhaha intérieur et extérieur, ce qui donne du sens à notre situation présente. Et heureusement, sinon nous deviendrions fous, noyés par un capharnaüm abrutissant.
Ce dernier point est intéressant pour l’émetteur : comment donner du sens à son message.
Je vous invite à lire le site-pépite de Corinna Coulmass, qui analyse en profondeur ce sujet passionnant dans son ouvrage « Métaphores des cinq sens dans l’imaginaire occidental ».
Le Pouvoir de la Voix
Tout d’abord, un rappel du fonctionnement de la voix, cet extraordinaire outil de communication, vecteur de la parole et du chant. La voix est produite mécaniquement par la vibration au travers de l’air qui circule dans notre larynx de deux muscles qui s’écartent plus ou moins, selon le son que l’on veut émettre. Plus les muscles sont longs et larges, plus la voix est grave, et inversement. Voilà pourquoi les hommes ont généralement des voix plus basses que les femmes.
Malgré cette simplissime définition, la voix reste un mystère, comme on peut le lire dans cet article de La Croix. Car, comment expliquer que chaque voix est unique. Jean Abitbol, qui compare notre organe vocal à un stradivarius, nous dit qu’il y a autant de voix sur terre que d’individus. Donc, bientôt 9 milliards de voix uniques dans le monde !
Notre voix est partie intégrante de notre personnalité et de notre identité. Joana Revis, speaker au TEDx de Cannes en 2017, nous apprend que notre voix dit tout de nous : notre genre, notre âge à cinq près – à quelques exceptions près, nos origines (accent, intonation), notre état de santé, notre position corporelle. Et pourtant, aujourd’hui encore, ajoute-t-elle « On n’a pas, aujourd’hui, les moyens de mesurer les éléments stables de la voix qui permettent de l’utiliser comme moyen sûr d’identification d’une personne ».
Mais où réside le pouvoir de la voix ? Dans sa texture, son expression et son intensité.
Texture
Parce que bien sûr, certaines voix ont naturellement une véritable signature vocale. Une mélodie qui vous enchante ou vous envoûte, en tous cas qui donne l’envie de l’écouter. Une précision néanmoins sur ce point : la dimension culturelle joue un rôle. En Europe et dans les Amériques, nous sommes plus sensibles aux voix graves, voire rocailleuses, contrairement à l’Asie. Dans le livre de Jean Abitbol – « Le Pouvoir de la Voix » (Allary Editions, avril 2016), il est intéressant de lire cet expert ORL prédire le succès de Trump à la présidence sur la simple analyse de sa voix.
Expression
Sans texture particulière, une voix plus « commune » peut parfaitement marquer les esprits. Un premier moyen : la technique vocale. Elle nous permet de jouer avec notre instrument : intonation particulière, rythme décalé, silences, amplitude de notes, diction. Ces différents éléments donneront une couleur pastel ou incarnée à notre message. Là encore, la question de l’authenticité culturelle a une influence. La sonorité sera perçue positivement ou négativement, selon que vous soyez en Europe, en Amériques, en Asie ou en Afrique.
Intensité
Elle est donnée par nos émotions, une dimension qui nous réunit tous, quelle que soit notre origine géographique ou socio-culturelle ou encore notre âge. Nos émotions se trahissent ou s’expriment dans notre voix. Jean Abitbol explique que la force émotionnelle de notre voix se niche au cœur de notre sincère conviction. Plus vous êtes convaincus de votre message, plus vous avez de chance d’engager les autres à vous suivre. Plus votre tête est en symbiose avec votre cœur, plus vous vibrez, plus les autres seront réceptifs à votre intention.
Cette symbiose implique deux prises de conscience. La première est notre éveil à la vibration de notre propre voix. Toutes les personnes qui chantent connaissent ce plaisir libératoire et apaisant de se laisser envahir par elle. D’ailleurs, le chant est souvent thérapeutique pour calmer les angoisses ou gagner de la confiance en soi. Nous nous recentrons sur nous. La seconde est psychologique : entendre et suivre sa petite voix intérieure, qui nous guide instinctivement.
Jouer avec sa voix
Si ces deux vibrations font écho à celles de votre auditoire, il est fort à parier que vous serez suivi(e). Tous les grands dirigeants, qu’ils soient politiques ou économiques, connaissent très bien ce phénomène. Toujours dans ce podcast de France Culture, vous entendez Jean-Claude Monod, Directeur de recherche au CNRS et philosophe, auteur de Qu’est-ce qu’un chef en démocratie ? Les politiques du charisme (Seuil, 2012), répéter une « vérité » politicienne : « Les masses sont impossibles à diriger par la raison ». Je prendrai pour exemple la merveilleuse histoire de Edouard VI, le père de l’actuelle reine d’Angleterre, qui, à l’entrée du Royaume Uni dans la 2ème guerre mondiale, a réussi à surmonter son bégaiement et à motiver ses sujets par un discours grandiose diffusé à la radio, comme le raconte le film « Le discours d’un roi » de Tom Hooper.
Un détail intéressant que nous livre cet autre podcast, toujours de Jean Abitbol mais cette fois sur RTL. Le pouvoir de la voix n’est pas tributaire des mots et de la langue parlée. Les mots encapsulent le message, sans emprisonner le pouvoir de la voix. Le ressenti d’un mot dépend de la manière dont il est dit. Donc, de l’intonation qui lui est donnée. Nous sommes sensibles en premier à la voix, puis aux mots. De même, nous n’avons pas toujours besoin de comprendre ce qui nous est dit pour saisir l’intention d’un message. Pour s’en apercevoir, il suffit de retrouver dans une situation où vous êtes face à une personne parlant une langue que vous ne connaissez pas. Si elle est en colère ou heureuse en s’adressant à vous, vous capterez immédiatement son émotion.
En résumé
A l’instar de la radio, le podcast véhicule l’émotion avec beaucoup plus de force que l’image. Plusieurs raisons. Tout d’abord, notre fonctionnement physiologique interne le favorise en captant et traitant plus d’informations par l’ouïe que les autres sens comme la vue. Ensuite, le pouvoir de la voix, qui, par son caractère unique et sa dimension psychologique, confère une intimité inégalable. Enfin, l’impossibilité technologique – en tous cas à ce jour – de reproduire l’intensité émotionnelle de la voix humaine éloigne l’envahissement de la machine sur l’homme.
Dans le podcast, tout est réuni pour convaincre son public à faire une pause, à son rythme, pour écouter activement et s’engager durablement sur un sujet qui lui tient à cœur, qu’il soit léger ou sérieux, complexe ou simple.
[1] Voilà pourquoi il ne faut jamais avoir des propos alarmistes auprès d’un blessé sans connaissance. Il se peut qu’il vous entende et que son cerveau enregistre vos paroles.
[2] Raison pour laquelle les sourds peuvent prendre du plaisir à écouter de la musique.[:en]
t qui lui tient à cœur, qu’il soit léger ou sérieux, complexe ou simple. De plus en plus de professionnels ou de passionnés se lancent dans l’aventure du podcast pour faire connaître ses services, ses talents, ses hobbies. Certains vivent même de leur production « podcastique ».
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